les amitiés spirituelles

Le principe d’association par Sédir


Ces pages contiennent les points essentiels d'un discours prononcé

à la séance inaugurale d'un groupement de spiritualistes internationaux, dans l'hiver 1921.



Votre fondateur a voulu, comme condition première pour devenir membre de votre cercle, la nécessité de reconnaître un principe d'ordre spirituel contenant en germe les solutions de tous les litiges politiques, sociaux, économiques, diplomatiques et internationaux dont la recherche constitue votre but. Ceci est une renaissance remarquable de lumières disparues depuis bien des siècles de la conscience des gouvernements et les penseurs donneront à cet article leur unanime approbation; déclarer qu'en dehors et au-dessus des baïonnettes, des usines et des banques, en dehors et au-dessus des combinaisons de ministères et de parlements, des faits industriels et commerciaux, existent des forces immatérielles, indépendantes; qu'il y a, en politique, en économie, une morale, un droit: c'est un beau geste de courage et de confiance en l'avenir de l'humanité.

 

Mais ─ pardonnez-moi de vous dire aussi franchement mon opinion ─ quelque catégoriquement idéaliste que soit votre règle, elle me paraît contenir en germe le vice radical qui stérilisera vos efforts. Parmi vous, en effet, sur une vingtaine de fondateurs, il ne s'en trouve guère que deux ou trois qui connaissent le Christ comme Fils unique du Père; tous les autres ne voient en Lui qu'un homme extraordinaire dans telle ou telle direction. Ces divergences suffisent pour que le décret éternel s'applique à votre oeuvre: tout royaume divisé contre lui-même périra.


Vous avez, Messieurs, trop l'habitude des problèmes philosophiques pour ne pas saisir l'importance de cette remarque. Vous vous déclarez spiritualistes; vous appelez donc l'esprit sur votre cénacle, et il suffirait qu'un seul d'entre vous soit un serviteur de Dieu pour que l'esprit vienne; Il est donc venu, et avec Lui, tout le Ciel, et la manifestation terrestre du Ciel: le Christ. Or vous ne nommez pas ce Christ, et je me permettrai de dire: vous n'osez pas le nommer. Que pouvez-vous donc construire?


Deux esprits travaillent le monde: l'esprit du Christ, qui sait que le Christ est Dieu, et l'esprit de l'Antéchrist qui, avec les manières les plus larges, les plus bénignes, les plus tolérantes, les plus humanitaires, les plus « intelligentes », les plus libératrices et libertaires en apparence, nous démontre que le Christ n'est qu'un homme, ou un symbole, quelque puissant ou magnifique qu'on l'imagine. Ainsi, par votre silence, ou, si vous voulez, par le vague de vos déclarations, vous ouvrez votre société à deux courants contraires, et en fait ─ « qui n'est pas avec Moi est contre Moi », a-t-il été dit, ─ vous décidez de travailler sous les espèces du relatif, de l'intelligence discursive, de la sagesse humaine, tandis que le vrai chrétien, seul spiritualiste digne de ce nom, travaille sous les espèces du coeur, de l'action vivante, de la sagesse éternelle.


Or de l'attitude initiale dépendent tous les gestes ultérieurs. Les solutions que vous proposerez aux différents problèmes qui préoccupent votre groupe seront, grâce à votre culture, à vos connaissances techniques, à votre expérience d'hommes publics, ingénieuses et satisfaisantes; mais, parce que vous ne vous êtes pas placés sous le titre du Christ, elles ne seront pas chrétiennes. Quels que soient votre sincérité personnelle, votre désintéressement, votre valeur individuelle, grâce à quoi vous pourrez vous faire entendre de vos collègues en affaires ou en politique, votre action demeurera précaire, parce que seul, le Christ donne la vie à toute chose.


Toutes les formes actuelles de la vie sociale sont antichristiques. Les rapports du capital et du travail, les méthodes de gouvernement, les finances et les bourses, la franc-maçonnerie, le journalisme, les législations, les églises, tout au moins dans leur vie administrative, les méthodes d'éducation, l'esprit des recherches scientifiques, même la métapsychique, tout cela est antichristique. La Société des Nations, fondée par des hommes extrêmement intelligents, mais amoraux, est antichristique. Le communisme, avec Bakounine et Karl Marx, l'individualisme avec Nietzsche, l'humanitarisme avec Tolstoï: tout cela est antichristique. Et, remarquez-le, tout cela sort, plus ou moins directement de l'Allemagne. Si, sur n'importe quel point, on voulait connaître la ligne christique, il n'y aurait qu'à prendre le contre-pied de la doctrine allemande sur ce point. L'Allemagne est la patrie de l'anti-christisme; il n'y a pas lieu de la haïr pour cela; elle a un rôle, elle joue son rôle consciencieusement; mais il ne faut pas qu'elle nous séduise.


Nous n'avons d'ailleurs pas le droit de nous plaindre. Toutes les catastrophes actuelles, c'est nous qui les avons appelées, préparées, conduites à terme, en reniant le Christ par notre conduite. Toutes les fois qu'un peuple n'a pas osé s'attacher au Christ directement par l'élan de son suffrage universel, toutes les fois qu'une nation s'est laissé séduire par un césarisme quelconque, militaire ou financier, toutes les fois qu'une clergie a cru bon de s'allier à un césarisme, il y a eu rupture de contact entre Dieu et ce peuple. La sagesse des grands hommes d'État a conçu deux formes de gouvernement en vue de faire le bonheur de la multitude. L'une est l'empire universel désiré par Alexandre, par Byzance, par Charlemagne et Napoléon, par l'Allemagne, l'Angleterre ou la Russie; l'autre est une fédération d'Etats-Unis, proposée autrefois par les agents d'un certain centre à Saint Louis, à Henri IV, à Richelieu, à Bonaparte, et dont M. Wilson nous a apporté le plus récent modèle.


L'une comme l'autre sont anti-christiques, parce que l'une et l'autre entretiennent dans l'esprit des masses la notion de la force, de la contrainte, celle des grandeurs terrestres, des hiérarchies basées sur l'externe et de la nécessité d'intermédiaires entre l'homme et Dieu.


Le Christ nous a proposé autre chose: un communisme basé sur l'amour. N'oubliez pas qu'Il a dit: vous n'appellerez personne Maître parmi vous et que Son: Rendez à César ce qui est à César signifie: Obéissez aux puissances politiques, mais faites-vous entre vous tous une petite cité où tout appartienne à tous, où tous appartiennent à chacun, où chacun se dévoue pour tous.


Il m'apparaît dès lors que vous, spiritualistes, hommes intègres, épris de justice, vous entreprenez contre des mouvements qui ne sont qu'ignorance fanatisée et force brutale, la lutte du pot de terre. Ce qu'il faut, ce ne sont pas des théories; nous sommes saturés de théories. Il faut des actes. Le jour où vous quitterez vos cabinets de travail, vos bibliothèques, vos chaires pour aller vers n'importe qui souffre essayer de lui redonner la santé physique ou morale et, après la lui avoir rendue, lui parler du Christ, vous aurez fait un acte vivant et non plus spéculatif.


Nous avons besoin de communistes, mais de communistes chrétiens, d'hommes sociaux certes, mais à qui le commerce habituel du Christ donne les moyens de dépasser la compassion humaine, la sagesse humaine et l'humaine énergie. Les cerveaux actuels n'ont pas besoin d'être enrichis; ce sont les coeurs qui ont besoin d'être allégés, aérés, éclairés. Tout est vivant, même une mesure douanière, même une disposition de comptabilité publique. Comment faudrait-il s'y prendre pour développer en soi le sens de la vie, le sens des réalités, le sens des actualités? Le Christ seul peut nous le dire. Rendons-nous attentifs à ses paroles; là se cache tout le secret du pouvoir sain et de l'action bonne.


Bulletin N° 5 de juin 1923

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