les amitiés spirituelles

Comme ils ont dû trouver des ressemblances avec leur pays, ces premiers et mystérieux voyageurs chrétiens qui abordèrent aux Saintes-Maries-de-la-Mer il y a deux mille ans !

Evitant les grands ports, allant au long des côtes par escales successives, comme faisaient alors les navigateurs, ils étaient arrivés là, dit la tradition, jetés par la tempête sur le rivage de Gaule.

Tempête spirituelle en effet, mais en vérité le petit esquif, tout semblable à ceux que les commerçants phocéens avaient mouillés là huit siècles auparavant, poussa plus loin que Marseille (la Massilia romaine) pour ne pas subir les persécutions qui, sous la même autorité, sévissaient dans tout le bassin méditerranéen.

Ce n’était pas la fuite devant le danger, mais cela semble bien au contraire être la réalisation d’un ordre donné par le Maître ! car à considérer la lente progression des missionnaires chrétiens en Europe, on s’aperçoit tout de suite d’un plan volontairement organisé et exécuté ponctuellement.

Ces régions, du reste, le Christ les avait parcourues et préparées par Ses fatigues et par Ses prières ; avant que d’agir officiellement, avant que de retourner subir le martyre sur le Golgotha, Il avait lancé le grain mystique pour les récoltes à venir.

Aussi, quand, après le drame, les apparitions se multiplièrent dans le jardin, sur la route d’Emmaüs, au bord de la mer de Tibériade et dans les réunions de fidèles, il ressort que c’est bien pour que le Maître donne Ses ordres aux apôtres qui, une fois la première stupeur passée, comprirent la mission qui leur était confiée. Les uns demeurent en Judée, gardant le secteur juif ; d’autres gagnent l’Egypte, la côte africaine et l’Arabie. Au nord, en prenant les lignes maritimes, ce sont les iles, la Grèce, l’Italie et l’Espagne conquises peu à peu ; Pierre et Paul arrivent à Rome pour préparer la future église.

Mais la France reçut mystérieusement les premiers voyageurs, ceux que le Christ chérissait entre tous, ceux qui préparèrent discrètement l’autre église, celle en esprit et en vérité que l’Evangéliste Jean annonce et qui y demeurera toujours.

Après avoir traversé la Camargue, évité Aix, l’importante Aquae Sextiae, le petit groupe s’engagea vers la pointe extrême que forme la courbe méridionale dans cette partie de la Provence que la Convention dénommera le département du Var.

La marche dut se prolonger ainsi quelques jours ; Lazare marchait en avant dirigeant de son autorité sereine le groupe des pèlerins ; ce grand seigneur, que la terre retenait à peine et dont le rôle auprès du Christ et de Sa nombreuse suite fut pourtant considérable, ouvrait la route.

Le don qu’il fit en effet de sa fortune, la commandite de cette aventure qui pour tout autre pouvait paraître équivoque, lui donnèrent, malgré ses richesses, le bonheur rare d’en comprendre immédiatement le sens éternel. Parti dans le royaume morts et revenu à l’appel de son chef pour obéir ensuite et se mettre humblement à l’action ; ayant vu la déchirante crucifixion, le martyre du jeune Etienne et d’autres encore, il se décide pour Marseille, prêt à suivre le même chemin douloureux de la croix.

Le groupe se disloque alors ; sa sœur Madeleine, la grande pécheresse que le monde avait comblée, adulée, s’enfonça vers la solitude des monts, assez près pourtant de Maximin que l’apostolat retint par la suite à Aix et dans les petites villes d’alentour. Lui avait l’honneur, quoique n’étant que l’un des soixante-dix, de suivre les favoris du Verbe et d’arriver plus tôt que ses deux compagnons Trophème et Probace, plus tard évêques dans cette région.

Marthe remonte vers les iles du Rhône où se fondera un jour Tarascon ; quant aux deux Maries, Jacobé et Salomé, l’une sœur de la Vierge, l’autre mère de Jacques le Majeur, elles s’en revinrent, accompagnées de leur servante noire, la pieuse Sarah, vers l’endroit où le bateau avait abordé et elles gardèrent la côte.

Et chacun foulant aux pieds cette terre nouvelle, retrouvait les odeurs connues du thym, du serpolet et de la lavande ; c’étaient les mêmes oliviers au feuillage vert-de-grisé, que les branches portent comme des flammes ; les mêmes cyprès droits et sombres, les genêts d’or qu’il avait contemplés autrefois. Certaines courbures du sol, le détour d’un chemin leur faisaient espérer la Mer morte, le Jourdain ou, mieux encore, la rencontre de Celui sans lequel ils ne pouvaient plus vivre.

Qui sait si l’apparition consolante n’a pas eu lieu comme en Palestine ! sous le même soleil éclatant, dans cette blonde atmosphère que le Ciel mauve avivait, dans ce cadre qui ne différait guère de ceux qu’ils avaient abandonnés, ces êtres, au regard profond et que la foi embrasait, n’attendaient qu’un signe pour s’arrêter et œuvrer.

La Provence garde du reste jalousement ses prérogatives et ses sanctuaires. Descendre dans la crypte de Saint-Victor à Marseille, c’est, comme dans les catacombes de Rome, retrouver une part du calme majestueux de cette primitive église que dans la cité millénaire le grand ami de Jésus présidait. Par la suite, quantité d’autres figures aux légendes glorieuses sont venues se grouper autour de la silhouette distinguée ; la fumée des cierges, la patine des murs en attestent la reconnaissance.

Les cryptes de Sainte Marthe à Tarascon, de Saint Maximin près d’Aix gardent aussi leurs tombeaux sacrés : ceux des deux sœurs de Lazare et de l’apôtre privilégié. Une châsse contient encore la tête de celle qui, venue du plus loin, s’est approchée au plus près de l’amour éternel ; le squelette où brillèrent les yeux d’adoration de Madeleine est toujours visible et présenté chaque année aux fidèles agenouillés, pendant que résonnent fifres et tambourinaires.

C’est du culte de ces reliques que naîtra en Bourgogne, quelques siècles plus tard, la fameuse basilique Sainte-Madeleine de Vézelay ; comme Saint-Labre, à Autun, rappellera Saint Lazare.

Pour l’église fortifiée des Saintes Maries, elle conserve plus intactes encore les reliques de Marie Jacobé et de Marie Salomé ; les châsses sont descendues de la tour aux jours de fêtes, alors que les bohémiens viennent régulièrement en la crypte demander aide et protection aux restes de la noire Sarah, protectrice de leur vie aventureuse et de leur magie orientale.

Mais plus austère encore se révèle la résidence où, pendant trente années, Madeleine pleura, pria dans la solitude complète et où, tout en expiant ses fautes, elle prépara l’extension de la foi chrétienne sur notre sol. La châsse de la Sainte Baume dresse au milieu de cette riante région sa muraille gigantesque ; au pied la forêt absolument vierge (les rois à toutes les époques en ayant interdit la coupe), lui donne un aspect sauvage, presque inaccessible.

Pourquoi la riche courtisane, vivant dans le luxe raffiné de ses somptueuses demeures, s’en vint-elle, à des lieues de distance, finir ses jours en le trou le plus noir et le plus élevé de ce roc ? C’est là le mystère émouvant d’une foudroyante conversion et plus encore de la mission secrète qu’elle avait acceptée.

Qui n’a pas saisi l’importance de la vie intérieure, avec ses certitudes, et de la prière, ne peut naturellement comprendre ce changement extraordinaire ; qui n’a pas entr’aperçu la splendeur du Verbe incarné ne peut admettre la splendeur spirituelle d’un tel sacrifice.

L’effacement de cette femme, la réunion de ces vies merveilleuses sont pourtant, à ceux qui veulent ouvrir les yeux, comme des holocaustes offerts en expiation, en sacrifice et l’acquiescement le plus complet à celui du Christ ; elles nous prouvent, de plus, le rôle de choix que la douce terre de France a joué dans le développement de la doctrine du Salut.

Cinq femmes (nombre de la Vierge), et deux hommes (ce qui donne le chiffre du Christ), arrivent sur nos côtes : l’un, ressuscité, marche à l’apostolat et au martyre, l’autre devient le fondateur de nombreuses églises et le soutien de celle qui s’est le plus approché de la pensée du Maître ; grandes dames ou servantes de la suite prennent chacune un rôle ; pendant que Madeleine prie avec les anges, Marthe exorcise les génies inférieurs ; d’autres évangélisent et le grand travail s’élabore et se devine dans l’obéissance passive de ceux et celles qui, pouvant s’enorgueillir, sont devenus les serviteurs de tous.

Et le voyageur, passant par cette sereine Provence, garde en son cœur croyant le souvenir de cette paix indéfinissable, qui n’est autre, en fait, que l’odeur spirituelle que laisse le sillage des êtres de lumière et de prière.

La nature puissante et riche semble même sourire et songer à ces humbles pèlerins qui, voici deux mille ans, s’en vinrent, par obéissance pour leur Maître, prier et souffrir comme Il l’avait fait et comme Il le fait toujours par amour pour l’humanité.

Les débuts de l’évangélisation en France par Max Camis

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