les amitiés spirituelles

 

Pour étudier l'ancienne Egypte, nous avons peu de documents: on peut être certain en tout cas que l'Egypte fut un des centres où l'initiation apparaissait sous sa forme la plus logique et la plus systématique. Les anciens Egyptiens tenaient leur science de peuples plus anciens qu'eux; c'était une synthèse remarquable parce qu'elle présentait une admirable ordonnance entre le développement intellectuel, le développement volontaire et le développement de la sensibilité. On peut considérer les anciens prêtres d'Isis et surtout d'Osiris comme les docteurs de l'équilibre. Ils avaient leurs temples bien avant Moïse, environ 60 siècles avant notre époque. Il y avait chez eux un triple degré d'initiation. Tout Egyptien pouvait prétendre au plus haut grade de l'initiation s'il s'en montrait digne.


Il y avait une série d'écoles qui aboutissaient à la connaissance des lois terrestres: on appelait fils de la femme ceux qui avaient terminé cette école.


Ensuite on apprenait les lois de la vie du système solaire, les lois de la vie cosmique et les élèves qui sortaient de ces écoles étaient nommés fils des dieux, car les dieux sont la personnification des forces qui agissent dans notre zodiaque.


Enfin le titre de Fils de Dieu était donné aux très rares êtres qui avaient pu monter jusqu'au véritable soleil, à ces êtres d'exception qui avaient pu apercevoir ce qui se passe au-delà de l'ordre de notre planète. Il y en eut extrêmement peu: Moïse et Orphée en furent.


Dans ces temples où tout était disposé pour ces études, les élèves étaient partagés en deux classes: ceux qui étaient réceptifs et ceux qui étaient actifs. Les Egyptiens connaissaient donc deux grandes lignes de travaux ésotériques: les travaux de l'illuminisme par lesquels le disciple se met en face de l'inconnu à connaître dans une attitude passive, et les travaux de la volonté par lesquels le disciple se met dans une attitude de dominateur vis-à-vis de ces forces. Ces attitudes dépendent naturellement du tempérament du sujet. Ils suivaient des entraînements appropriés. De tous les peuples qui ont cherché à conquérir les forces secrètes de la terre c'est l'Egypte qui a duré avec la même intensité le plus longtemps.


Lorsque, sous la poussée du temps et les attaques du milieu, cet effort s'est morcelé, il s'est répandu dans le bassin de la Méditerranée et là s'est divisé en deux grands courants:


─ un philosophisme intellectualiste d'où est sortie toute la gnose grecque depuis Homère et Hésiode jusqu'à Platon et Pythagore;


─ un courant religieux qui est parti de l'Egypte avec les Juifs, et a donné naissance d'abord à tout cet édifice bâti par Moïse et à cet amas sans lien visible de documents, de notions qu'on appelle la Kabbale, c'est-à-dire ce qui se transmet de bouche à oreille et dont le plus grand nombre se trouve dans le Zohar.


Ces courants, philosophique au Nord de l'Egypte et religieux à l'Est, se sont matérialisés en Israël dans des magies assez basses, en Grèce et à Rome dans des philosophies plus ou moins utilitaristes. Ensuite il y eut les représentants initiatiques d'Assyrie, de Gaule et de Syrie; puis est venu le christianisme, puis les Arabes ont apporté un nouveau contingent d'illuminisme puisé dans la ligne de Mahomet et ces dix ou douze courants ont produit ce que l'on peut appeler la tradition hermétique que vous trouvez dans tous les auteurs occultistes depuis Avicène jusqu'à Paracelse, et même Boehme et Eliphas Lévi. Ce n'est que depuis une quarantaine d'années que l'Europe est sous l'influence d'un courant venu de l'Inde. Peut-être recevra-t-elle plus tard un troisième courant qui viendra de l'Extrême-Orient?

 

Ces Egyptiens avaient une morale populaire et une morale pour les initiés. La morale populaire est la même partout: il s'agit pour le peuple d'obéir aux lois. Les initiés avaient une morale plus haute; leur activité était toujours dirigée vers l'ordre social. Les initiés purs étaient des hommes sociaux, préoccupés de l'amélioration de la masse. Pour eux, c'était le problème même de leur existence d'arriver à ce que le peuple au-dessus duquel ils s'étaient péniblement élevés soit mis dans les meilleures conditions pour bénéficier de l'influx des sphères supérieures. Ils avaient à ce sujet une théorie qu'on retrouve dans la Chine et dans l'Inde: c'est que l'Egypte géographique n'est que l'expression terrestre d'une Egypte invisible. Pour l'Hindou aussi l'Inde que nous connaissons, l'Inde avec sa Bénarès son Gange, son désert et sa jungle est la matérialisation de l'Inde spirituelle qui est le vrai paradis de ceux qui agissent en corps physique sur le sol de cette Inde. Toutes les cérémonies publiques du culte, toutes les cérémonies secrètes des initiés, tous les efforts de ces chercheurs tendaient vers ce but: connaître mieux cette patrie spirituelle pour en faire descendre les forces sur la Patrie matérielle. Cette théorie a produit dans ces temps reculés d'excellents résultats.


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Cette conception de géographie hyperphysique se retrouve en Chine. La Chine est un pays dont la tradition est originale. Les Chinois se prétendent (comme d'ailleurs tous les autres peuples) le peuple le plus ancien de la terre. Ils sont positivistes et matérialistes; pour eux l'univers physique existe seul, la vie matérielle est seule importante. Leurs moralistes se conforment au génie national. Il y a aussi chez eux deux morales: celle de Confucius, morale populaire pour ceux qui ne voient pas autre chose que le côté pratique de la vie, et celle de Lao-Tseu, morale de l'élite, des mécontents, des initiés et des sectateurs des sociétés secrètes.


La morale de Confucius est très simple. Pour lui le bien c'est le bonheur, mais on ne peut être heureux que lorsqu'on marche dans la droiture. Un proverbe qui circule là-bas dit ceci: « Pour rouler un Arménien il faut trois Juifs, et il suffit d'un Chinois pour rouler quatre Arméniens ». Le Chinois a donc pu s'apercevoir que la ruse n'est pas un bon moyen d'arriver, que la sincérité vaut mieux.


Donc Confucius place comme premier devoir du citoyen la sincérité et la droiture, puis l'équilibre. Pour lui l'homme trop zélé est aussi nuisible à l'État et à la société que le paresseux, l'enthousiaste est aussi dangereux que l'apathique.


La morale de Lao-Tseu ne prêche pas de vivre sa vie moyennement, honnêtement; elle est pour les mécontents d'une part et de l'autre pour les inquiets. Pour eux leur premier devoir est d'être d'accord avec leur sentiment intérieur, de tout sacrifier au désir profond de lumière et de vérité, puis d'opérer, avant toute recherche, le détachement de tout; en troisième lieu d'acquérir au préalable la sérénité. Le sage Chinois désire la connaissance parce que c'est la puissance, prendre une vue complète de l'univers.


Pour atteindre ce but il abandonne tout ce qui pourrait le distraire: famille, biens, etc., il arrive à l'impassibilité. Alors il n'a plus besoin d'entraînement. Pour vous faire comprendre je vais avoir recours à une comparaison. Imaginez une rivière avec une écluse; il y a en aval les eaux du bief supérieur et puis les eaux du bief inférieur. L'écluse fermée représente l'être en lui-même avant que rien ne soit: c'est au point de vue de l'individu humain sa racine éternelle, ce qui fait que nous sommes de l'Absolu. L'éclusier ouvre l'écluse: la masse des eaux renfermée dans l'écluse va tomber, mais auparavant il y a un moment infinitésimal pendant lequel elle est suspendue: ce moment mathématique c'est ce qui se passe dans l'Absolu lorsque l'être va sortir du non-etre, c'est la possibilité de la création, c'est l'état de l'initié parvenu au sommet de la connaissance, à cheval entre l'éternel immobile et le relatif mobile. Les eaux tombent: c'est le créateur qui s'est décidé à créer. L'eau coule dans la rivière: c'est la foule des créatures qui suivent leur cours puisque c'est ce qui a été voulu par le Créateur, c'est pourquoi l'initié est indulgent, c'est ce qui fait qu'il ne condamne personne, qu'il ne juge personne, c'est ce qui fait qu'il introduit dans toute sa vie cette patience invincible qui déconcerte et qui, dans l'ordre politique, fait échec à toutes les habiletés de nos diplomates.


Le disciple jaune veut remonter à la connaissance de la source. Il se défendra donc de tout sentiment envers qui que ce soit, car il sait que le sentiment est une force; il se détachera absolument de tout ce qui en lui est au-dessous de ce point intellectuel où l'idée se forme. Tout le système de l'initiation chinoise repose sur cette sérénité, sur ce détachement, sur cette façon de laisser tomber la vie autour de soi: l'initié chinois en effet ne se détache même pas de la vie, comme le fait le mystique occidental; il s'assied et laisse couler la vie.


On n'entre dans aucune école d'initiés chinois que si l'on a auparavant satisfait aux examens des sciences ordinaires.


Voici les trois étapes de la carrière de l'adepte:


1̊L'initié est connu; il choisit un bourg pour sa résidence et y exerce une profession libérale; il enseigne par exemple la philosophie, les commentaires des textes sacrés, les sciences naturelles, n'importe quoi, tout ce qu'on peut apprendre sans sortir des conditions ordinaires de la vie. On appelle ces hommes, les hommes aux yeux clairs; ce sont des philosophes ésotériques.


2̊ si cet homme veut avancer un peu plus, il abandonne son poste de professeur, il se rend anonyme et errant. Il n'est plus en relations qu'avec des inconnus; on en trouve parmi les jongleurs ambulants qui traversent les villes de la Chine. La maxime de tout adepte oriental c'est qu'il est inutile d'aider quelqu'un ・s'initier car, ou bien il est capable de l'initiation et il vaut mieux qu'il le fasse seul, ou bien il n'en a pas la force et alors ce n'est pas la peine de l'aider. Dans cette deuxième période l'initié est donc seul, il gagne sa vie comme il peut et se tient dans un état de méditation constante et, solitaire en face des problèmes, il étudie. Ce sont des autodidactes; la science vers laquelle ils tendent, c'est la science des forces errantes, la science des forces astrales, comme disent les Occidentaux, les Sciences dangereuses, si dangereuses qu'un homme n'a pas le droit de les apprendre à un autre homme.


3̊ Si ce jongleur nomade sort de cette période d'entraînement avec succès, s'il ne sombre pas dans la folie, la tuberculose, la paralysie générale, s'il ne tombe pas dans un abîme physiologique quelconque, alors il est mûr pour les plus éclatantes destinées. Il reparaît au grand jour; il se débarrasse des derniers liens sociaux qui peuvent subsister, même de ce qui peut rester en lui de ces ancêtres ─ et vous savez le prix que les Chinois attachent à la survivance des ancêtres. Alors dans l'immense empire jaune il est vraiment libre; il n'est plus tenu à rien, ni économiquement, ni socialement, ni familialement. Alors il devient le conseiller et l'agent des sociétés secrètes, car les Chinois, comme les Egyptiens, considèrent que l'amélioration de l'état social est la chose la plus importante à poursuivre ici-bas. Et comme la Chine était jusqu'à ces derniers temps gouvernée par une dynastie Mandchoue, une dynastie usurpatrice, les initiés voulaient revenir à l'ancien état de choses. Et vous comprenez que cet être qui connaît toute la sociologie extérieure, toute l'économie politique, qui connaît aussi la manière d'organiser l'humanité, la révolution des forces occultes dans son pays, les principes métaphysiques du monde, peut prendre des décisions utiles à son peuple.


Vu du dehors tout cela est très beau; mais en réalité ces conceptions, ces méthodes de travail sont faites pour les Jaunes et non pour les Blancs, car si un Occidental voulait se détacher de tout ce qui constitue la vie, au lieu de garder comme l'Oriental une sérénité, une mansuétude, il deviendrait dur et sec, ce qui lui fermerait la route de ses travaux.


Et puis cette méthode de travail n'est bonne que pour les êtres d'exception. Or Dieu n'a pas créé le monde, Il n'a pas organisé l'univers pour les êtres d'exception, mais pour la masse, et s'Il a mis dans cette masse vulgaire des êtres d'élite, ceux-ci doivent se souvenir qu'ils sont là, non pour eux-mêmes, mais pour la masse.


Donc, il ne doit pas y avoir une sélection dans le peuple en vue d'un but, mais un don de Dieu sur quelques individus dont le seul travail est de répandre ce don sur ceux qui ne pouvaient pas le recevoir directement.


Le Chinois va de l'extérieur à l'intérieur et dans l'intérieur il s'arrête à l'intellectuel.


La méthode christique va de l'intérieur à l'extérieur et son intérieur c'est le spirituel qui est bien plus profond que l'intellectuel.

Traditions de l’Egypte et de la Chine par Sédir

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