les amitiés spirituelles

La Prière du Bon Berger par Sédir

Ainsi parla Jésus. Puis, levant les yeux au ciel, il dit : Père, l’heure est venue ; glorifie Ton Fils, afin que le Fils Te glorifie, selon le pouvoir que Tu lui as donné sur toute chair, afin qu’il accorde la vie éternelle à tous ceux que Tu lui as donnés. Or, voici la vie éternelle : qu’ils Te connaissent, Toi, le seul vrai Dieu, et celui que Tu as envoyé, Jésus-Christ.

Moi, je T’ai glorifié sur la terre ; j’ai achevé l’oeuvre que Tu m’avais donnée à faire. Et maintenant, Toi, ô Père, glorifie-moi auprès de Toi-même de la gloire que j’avais auprès de Toi, avant que le monde fût.

J’ai fait connaître Ton nom aux hommes que Tu m’as donnés du milieu du monde. Ils étaient à Toi et Tu me les as donnés ; et ils ont gardé Ta parole. Maintenant ils ont reconnu que tout ce que Tu m’as donné vient de Toi. Car je leur ai donné les paroles que Tu m’as données et ils les ont reçues et ils ont reconnu véritablement que je suis issu de Toi et ils ont cru que c’est Toi qui m’as envoyé.

C’est pour eux que je prie. Je ne prie pas pour le monde, mais pour ceux que Tu m’as donnés, parce qu’ils sont à Toi -- or, tout ce qui est à moi est à Toi et tout ce qui est à Toi est à moi -- et que je suis glorifié en eux. Je ne suis plus dans le monde, mais eux sont dans le monde, et moi, je viens à Toi.

Père saint, garde-les en Ton nom, le nom que Tu m’as donné, afin qu’ils soient un, comme nous. Pendant que j’étais avec eux, je les gardais en Ton nom ; j’ai préservé ceux que Tu m’as donnés et aucun d’eux ne s’est perdu, excepté le fils de perdition, afin que l’Ecriture fût accomplie. Maintenant, je viens à Toi et je dis ces choses, étant encore dans le monde, afin qu’ils aient en eux la plénitude de ma joie.

Je leur ai donné Ta parole, et le monde les a haïs parce qu’ils ne sont pas du monde comme moi je ne suis pas du monde. Je ne Te prie pas de les retirer du monde, mais de les préserver du mal, Ils ne sont pas du monde, comme moi je ne suis pas du monde. Sanctifie-les par la vérité : Ta parole est la vérité.

De même que Tu m’as envoyé dans le monde, je les ai, moi aussi, envoyés dans le monde. Et je me sanctifie moi-même pour eux, afin qu’ils soient, eux aussi, sanctifiés par la vérité.

Ce n’est pas seulement pour eux que je prie, mais aussi pour ceux qui croiront en moi par leur parole, afin que tous ils soient un, comme Toi, Père, Tu es en moi et moi en Toi, qu’eux aussi soient un en nous, pour que le monde croie que c’est Toi qui m’as envoyé. Et je leur ai donné la gloire que Tu m’as donnée, afin qu’ils soient un comme nous sommes un, moi en eux et Toi en moi, que cette unité soit parfaite, et que le monde reconnaisse que c’est Toi qui m’as envoyé et que Tu les as aimés comme Tu m’as aimé.

Père, mon désir est que, là où je suis, ceux que Tu m’as donnés y soient aussi avec moi, afin qu’ils voient ma gloire, la gloire que Tu m’as donnée parce que Tu m’as aimé avant la fondation du monde. Père juste, le monde ne T’a pas connu ; mais moi, je T’ai connu, et ceux-ci ont reconnu que c’est Toi qui m’as envoyé. Et je leur ai fait connaître Ton nom, et je le leur ferai connaître, afin que l’amour dont Tu m’as aimé soit en eux et que je sois, moi aussi, en eux. (JEAN, chapitre XVII).



Dans nos trois précédents entretiens (1) nous avons essayé de tracer, du point de vue de l’Esprit, une esquisse de la situation générale du monde et de notre situation dans ce monde. Ebauche bien imprécise sans doute, mais dont chacun de vous est invité à préciser les contours par son travail particulier. Ce soir, nous contemplerons ensemble les idées terminales de cet échafaudage que nous nous sommes efforcés d’édifier et nous y verrons ce qui constitue la raison véritable et le but authentique de notre présence dans le monde. Ce sont là des idées générales, mais des idées générales qui viennent de Dieu et qui ont cette particularité d’être toujours en même temps des idées

particulières pour tous les états possibles de l’existence.


C’est en somme du testament spirituel du Christ que je veux vous entretenir, de cette Prière sacerdotale renfermée au dix-septième chapitre de l’Evangile selon Saint Jean. Cette prière contient bien des choses que nous n’entreverrons que beaucoup plus tard, mais peut-être quelques-uns pourront-ils percevoir quelques rayons de ces splendeurs inconnues, mais qui un jour nous éblouiront.


En tous cas, il nous appartient à chacun de nous rapprocher le plus possible des sommets aperçus et d’acclimater nos coeurs à leur atmosphère vivifiante.


*


Jésus, parvenu au terme de Ses travaux terrestres, couronne tous Ses labeurs par la célébration de la Cène, c’est-à-dire par le don aux hommes de l’arcane suprême de la toute-puissance et de la toute-science, le grand arcane de l’Amour. Ce que le Christ donne à Ses disciples dans la Cène, c’est tout l’impossible, Puisque c’est la participation de l’homme à la vie divine.


Représentez-vous cet Homme dans la chambre haute de cette pauvre maison, la nuit, avec douze autres hommes recueillis, lesquels ne comprenaient rien encore, mais sentaient au fond de leur coeur l’approche du terrible orage de la Passion. Et considérez ce Maître si immensément plus haut que Ses disciples et cependant si près d’eux, leur parlant simplement, en homme, comme un frère aîné à des cadets, et entremêlant les dons qu’Il leur promet de la prévision des martyrs qui L’attendent, Lui, dans quelques heures, au mont des Oliviers…


Pour comprendre cette prière, il faut s’efforcer de comprendre l’état d’esprit du Christ, c’est-à-dire l’état d’esprit de l’homme revêtu de tout ce qu’il y a de plus grand, de plus doux dans l’univers et, aussi, de tout ce que la prescience d’un Dieu, peut apercevoir de plus terrible dans le temps présent et dans les siècles et les semaines de siècles que son regard contemple dans les ténèbres du futur.


Cette prière, qui a l’allure de l’élan le plus spontané d’un coeur surhumain, renferme une vérité extraordinaire et une lumière déconcertante sur l’avenir qui est réservé à notre vie intérieure, si nous voulons bien saisir cette vérité et cette lumière.


Le Fils est arrivé au moment de Sa carrière où les fondements de la Vie sont posés. Il a été non seulement en Judée et en Galilée, mais par toute la terre et partout Il a semé le germe de cette vie éternelle qu’Il possédait puisqu’Il en descendait et qu’elle est Lui-même. C’est ce qu’Il appelle « glorifier Son Père », c’est-à-dire mettre sur la terre la gloire qu’Il avait auprès du Père dans les cieux. Le Père est dans l’Absolu, dans la splendeur éternelle ; Il envoie Son Fils et Lui donne toute cette splendeur afin que le Fils, Se rapetissant à la mesure des êtres qu’il va visiter, dépose dans tous les départements du Créé tel germe de cette splendeur que le milieu est capable de recevoir. Et ces semences de la vie éternelle nous apparaissent, à nous créatures humaines, comme étant la connaissance du Père, c’est-à-dire la sensation intime qu’au-dessus de tout ce qui existe il y a un Père et que l’unique souci de ce Père est le bonheur le plus grand de tous Ses enfants qui peuplent les univers.


Le Fils, qui est la Bonté du Père incarnée, a revêtu autant de corps qu’Il a eu à traverser de mondes. Pour faire ces divins ensemencements, il a besoin de posséder tout pouvoir sur toutes les manifestations possibles de la vie créée. Si le laboureur n’est pas supérieur au sillon qu’il a à creuser, il ne pourra pas y déposer la semence dont il est le porteur. Il doit être d’une essence plus haute que la terre. De même le Christ, s’Il veut semer les lumières de l’éternelle splendeur, doit être plus fort que les sillons qu’Il a à creuser, plus grand que le coeur des créatures où doit descendre la céleste semence, plus grand que les esprits des dieux commis à la garde des êtres, plus grand que les fleuves de feu qui font vivre les mondes, plus grand que les cohortes invisibles par qui les mondes se meuvent. Or, rien ne peut être plus fort que la Création, sinon l’Incréé. C’est pourquoi il faut, pour le salut du monde, que Dieu Lui-même quitte Son Royaume pour descendre dans la Création.


*


Pour quelle raison les envoyés du Père assument-ils cet immense martyre ? C’est que, dans toute la création, aucun être n’est capable de monter à l’Absolu si l’Absolu ne vient à elle pour lui tendre la main et l’amener à Lui. Cette rédemption universelle ne peut pas s’opérer d’une seule fois parce que ce qui fait l’essence des créatures, ce qui est antérieur à leur première descente dans le monde et qui demeurera après leur remontée dans l’Absolu, c’est-à-dire que les âmes, ne sont pas toutes descendues en même temps. Voyez ce qui se passe sur la terre : le semeur commence par un bout de son champ et il va de sillon en sillon, jetant le grain jusqu’à ce qu’il arrive à l’extrémité opposée du champ. D’autre part, chaque poignée de graines qu’il lance tombe plus ou moins loin, de même les graines composant la même poignée. Quand le semeur reviendra comme moissonneur, il y aura des semences qui auront eu un peu moins de travail à accomplir que les autres : ce sont celles qui seront fauchées les premières. Il en va de même dans les voyages que les âmes ont à effectuer dans le monde.


Le Père commence par ensemencer d’âmes un bout des champs du monde et Il finira -- car Il n’a pas encore fini -- par l’autre bout ; et, lorsqu’Il reviendra moissonner, il se peut qu’Il commence à faucher le bout qu’Il a ensemencé en dernier. (C’est là le sens de la parabole des vignerons). Ces retours s’appellent des jugements.


Vu de notre côté, ces gestes du Faucheur sont séparés par des intervalles immenses, mais considérés du point de vue de l’Absolu, ils sont très rapprochés, exactement comme, pour les épis, l’intervalle semble immense qui sépare deux coups de faux. Nous nous effrayons des jugements, leur éloignement, considérable selon nous, en fait des phénomènes fabuleux ; en réalité, ce sont des choses toutes simples dont nous comprendrons la grandeur lorsque nous serons de l’autre côté.

 

Dans ces échelonnements réside tout le mystère des vieilles querelles théologiques sur l’élection des âmes et le salut partiel ou total de telles phalanges d’esprits. Le Christ, exécuteur de la volonté du Père, procède par récoltes successives : Il vient recueillir telle catégorie d’épis, plus tard Il viendra moissonner telle autre. Il ne faut donc pas s’effrayer lorsque le Christ dit : je suis venu recueillir ceux que le Père a choisis. Il parle des quelques élus qui sont désignés pour passer par le jugement immédiatement suivant. Les autres seront jugés et sauvés plus tard. Il n’y a donc lieu de s’inquiéter pour personne.


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Quand le Fils a semé partout sur la terre la gloire de Son Père, le Père Lui redonne la gloire qu’Il a répandue sur le monde.


Le mode d’action des êtres venus de Dieu est toujours le même. Le Père leur donne un secret, une gloire : c’est pour qu’ils la répandent autour d’eux. Pour cela, ils se dépouillent entièrement de ce que le Père leur a donné et dont ils connaissent le prix inestimable. Tâche colossale ! Pour vous faire une idée de la force d’âme qu’elle exige, voyez ce qui se passe dans nos vies : lorsque nous avons gagné quelques sous, il nous paraît héroïque de les donner au premier venu. Et que sont les biens matériels au regard de la Lumière du Père ? Or, l’unique moyen d’action de ces missionnés que Dieu envoie dans le monde est d’y répandre tout ce que le Père leur a donné et le Père ensuite leur rend cette gloire au centuple.


Ceux que Dieu a choisis pour les donner au Fils sont choisis par Lui dès le commencement.


Quand le Père envoie une âme au monde, Il sait d’avance quels travaux lui incomberont, son destin est fixé a priori, mais cela ne veut pas dire que celui-ci soit immuable. Un père donne un ordre à son enfant ; mais si l’enfant, après avoir obéi, trouve dans son coeur et dans son courage le moyen de faire quelque chose de plus, le père lui donne une récompense.


Dieu de même envoie nos âmes et leur trace leur chemin et leur travail. Cette mission, notre âme seule la connaît, notre esprit même l’ignore. Si notre âme accomplit un peu plus que ce que le Père Lui a donné à faire, le Père changera Son destin. Dieu est juste et bon et tenez pour assuré qu’Il créerait plutôt un monde que de ne pas reconnaître l’effort de cette petite âme infime qui a dépassé le mot d’ordre qu’elle avait reçu.


Les destins sont fixes selon la justice ; ils sont libres selon l’Amour. Cela ne se raisonne pas, mais le coeur peut le concevoir. Dieu peut à chaque instant concilier toutes les antinomies et réaliser toutes les oppositions. Nous donc, qui avons un peu la sensation de la présence et de la bonté divines, il nous est possible de concevoir une conciliation entre la liberté humaine et la volonté de Dieu, mais jamais la philosophie ne percevra cette conciliation.


Ces êtres donc que le Père a choisis Pour être sauvés, réintégrés à tel jugement, quelque chose en eux se souvient. Leur intelligence, leur esprit peuvent ne pas se souvenir, leur âme se souvient et c’est elle qui guidera leur corps, leur esprit, leur volonté dans la direction que ce souvenir lui indique.


C’est pourquoi les disciples du Christ, tout incultes qu’ils peuvent paraître à nos intelligences développées, avaient en eux cette mémoire de l’âme qui les dirigeait malgré leurs inerties et malgré leurs erreurs.


Ainsi donc, dans chacun des compartiments de la nature terrestre et dans chacun des coeurs de ceux que le Père a choisis, le Christ a déposé cette Lumière que le Père Lui a donnée. Son œuvre corporelle est terminée et Il est libre de retourner au Père. Ceci nous explique les cris de désespoir qu’Il laisse échapper pendant Sa Passion et ceci nous explique aussi qu’après avoir prononcé cette prière et avoir célébré la Cène, le Verbe redevient un homme. Sa nature divine s’éloigne de Lui ou plutôt elle tire un voile entre elle et l’homme qui va agoniser au jardin des Oliviers et qui va souffrir devant Pilate et sur le Golgotha. Il ne sera plus qu’un homme, un homme total, mais rien de plus qu’un homme et, comme tel, on comprend le désespoir dont Il laisse échapper le cri.


Veuillez arrêter votre esprit sur ce mystère, Messieurs. Le Christ, Laboureur spirituel, a travaillé, Il a accompli Son oeuvre, Il a tout donné. Au lieu de jouir du fruit de Son immense labeur, Il va commencer le martyre définitif. Car, avant la mort physique, Il passe par une mort dont nous n’avons aucune idée. Cette mort spirituelle, qui a précédé la mort corporelle sur la Croix, a été précédée elle-même, au moment de cette prière, par une troisième mort que l’être humain ne pourra jamais se représenter : la séparation en Jésus de la divinité et de l’humanité. De cette mort aucune trace ne subsiste dans le récit de l’Evangile, car l’évangéliste ne pouvait pas la concevoir et le Christ ne voulait pas qu’on pût la concevoir.


La mort corporelle, qui touche le plus nos nerfs, parce qu’elle éveille en nous quelque chose que nous connaissons, nous émeut. Mais, dans la masse de ceux qui s’émeuvent en contemplant le Christ en croix, combien en est-il qui s’émeuvent en contemplant le Christ priant au jardin des Oliviers ? Car cette souffrance est plus intérieure, donc plus inconnue. Encore bien moins trouverait-on une créature capable de s’émouvoir devant cette troisième mort centrale et profonde à laquelle le Christ fait ici allusion.


*


Voici donc ces hommes que le Christ a choisis, qu’Il a instruits, qui ont écouté l’harmonie de Ses paroles et qui ont empli leurs yeux de la beauté de Ses gestes. Pourquoi va-t-Il encore prier pour eux ? C’est qu’Il savait le sort qui attendait Ses douze pauvres disciples. Il savait qu’ils allaient avoir à fournir un effort surhumain. Ceux-ci n’étaient pas encore libres, ils étaient donc capables de tomber.


Or, ces hommes, ces douze chemineaux, entreprenaient la conquête du monde romain dont l’organisation formidable, la force militaire, la richesse, la mentalité précise, tenace et vigoureuse font encore aujourd’hui l’admiration du monde. Quelle folie que cette lutte de quelques pygmées sans armes contre le colosse invaincu ! Pour que ces hommes entreprennent ce combat, il fallait qu’ils fussent pourvus de quelque chose de plus qu’humain. Il est évident que si le Christ avait voulu, Il n’avait qu’un geste à faire, qu’un mot à dire pour que l’empire romain s’effondre. Sa toute puissance est vraiment une toute-puissance. Elle laisse la créature libre ! Voilà combien de milliers de siècles que Dieu laisse les créatures lutter contre la Lumière, s’efforcer de Le détrôner. S’Il voulait, nous serions depuis longtemps réduits à l’obéissance. Mais Dieu veut une obéissance libre. C’est pourquoi toutes ces luttes, toutes ces chutes, toutes ces laideurs qui constituent notre vie, le Ciel les autorise parce que c’est la seule école dont nous comprenions les leçons, parce que les suites de nos erreurs, les fanges de nos faiblesses, les fumées de nos désirs sont les seules voix que nous soyons capables d’écouter. Si tout de suite nous avions été obligés d’obéir au Père, combien de forces en nous ne se seraient pas éveillées à la vie, combien d’êtres seraient encore dans les limbes du Néant ! Le Père a fixé au monde un programme immuable et ce programme sera accompli « jusqu’au dernier iota ». Ce programme, nous le réaliserons, de notre plein gré, avec amour ; le Père a devant Lui les siècles pour attendre le mouvement de notre bonne volonté !


Mais la liberté de l’homme ? -- Elle n’est pas entière, loin de là ; elle est en nous comme un germe, un germe qui se développera au jeu des épreuves jusqu’à sa plénitude. Pour le moment, nous sommes comme des passagers à bord d’un bateau : ceux-ci sont libres de se promener sur le pont ou de rester dans leur cabine, libres de faire oeuvre utile ou de passer leur temps en de stériles bavardages ; mais en tous les cas ils ne peuvent s’occuper de la marche du navire qui suit sa course fixée.


C’est peu de chose ! direz-vous peut-être. Non, c’est beaucoup, car dans l’accomplissement de ce devoir qui semble petit, se trouve le secret de de tous les développements futurs.


Dans le drame spirituel il en est de même. Le Père nous dit que nous aurons à travailler pendant tant de siècles -- et nous travaillons pendant tant de siècles. A certains Il a donné de Sa Lumière et ceux-ci auront à souffrir pour le monde pendant le temps que le Père a fixé. En vue de cet apostolat, il faut que ces êtres aient des forces. Pour qu’une molécule de terre devienne une cellule végétale et pour que celle-ci devienne une cellule animale, il faut qu’une cellule supérieure descende et se sacrifie pour donner à la cellule inférieure des ailes qui lui permettront de franchir les échelons. Et ceci est vrai d’une vérité permanente.


C’est en se sacrifiant pour leurs enfants que les, parents donnent à ceux-ci la faculté de les atteindre. Dans l’ordre surnaturel, c’est deux fois vrai. Quand le Père décide qu’un être remonte jusqu’à Lui, il faut non seulement qu’il y ait le sacrifice d’une créature supérieure, mais qu’il y ait aussi un autre sacrifice de l’Absolu pour cette créature supérieure. Les missionnés ont donc besoin de forces divines.


C’est pourquoi, après avoir prié pour Ses disciples, le Christ demande pour eux un deuxième don, afin qu’ils puissent amener leurs néophytes à la vie surnaturelle.


Le Christ demande que Ses disciples gardent leurs disciples comme Lui-même les a gardés. Il demande au Père non pas de les préserver du contact du mal, mais de permettre que le mal ne les écrase pas. Quelle sécurité pour le disciple ! si nous voulons travailler pour le Ciel, nous devons attendre des douleurs, des fatigues supplémentaires, niais nous avons cette certitude qu’aucune ne peut nous abattre, qu’aucun mal ne pourra enlever de nos coeurs la Lumière immortelle que le Christ y a déposée.


Et puis, Il demande au Père de donner à Ses disciples quelque chose grâce à quoi ils pourront entraîner les autres vers le Divin et c’est la faculté de s’unir, d’être Un.


Il y a diverses sortes de foi au Christ. Au sommet, il y a les êtres dont la foi est entière, c’està-dire tout ensemble intellectuelle, sentimentale et réalisatrice, une foi-volonté qui fait qu’aucun accident ne peut ébranler leur sérénité intérieure. Ces hommes sont très rares : ce sont eux qui constituent la véritable Eglise du Christ, l’Eglise intérieure, la succession spirituelle des premiers disciples.


Eh bien ! ces êtres, pour rares qu’ils soient, pour dispersés qu’ils soient au travers du temps et de l’espace, sont unis d’une union, la plus solide, la plus intime qui se peut concevoir : ils sont unis par leurs labeurs et leurs fatigues. Ainsi, le Père et le Fils, le Fils et Ses premiers disciples, ces premiers disciples et les seconds disciples sont unis les uns aux autres et tous font, en des corps différents et en des lieux distincts, un seul et même esprit.


Or cette union, merveilleuse et pour ainsi dire substantielle, elle ne se fait que par la faveur du Père. C’est pourquoi ces disciples, au regard de ce qu’ils reçoivent, n’ont aucun mérite. Celui qui aime ne pense jamais qu’il se sacrifie, qu’il se tue de fatigue ; il se donne toujours et complètement et jamais il ne se sent de mérite.


A ces disciples le Père donne une lumière et une force qui vient de la vie éternelle, de sorte que se réalise cette unité des disciples les uns avec les autres par l’Amour, de chacun d’eux avec le Fils parce qu’Il est leur Idéal commun et toujours vivant avec eux et en eux, et du Fils avec le Père parce que tous deux ils sont un de toute éternité.


Cette union se complète et devient matérielle, objective par un effort spécial de l’Amour du Fils. Le Christ en effet dit à Son Père : « Je désire que ceux-là soient avec moi, afin qu’ils voient ma gloire, celle que j’avais auprès de Toi avant le commencement du monde. » Cette gloire n’est pas autre chose que la vie même de l’éternité vécue jusque sur la terre.


Ces disciples du Christ, ces laboureurs du Christ sont des hommes comme les autres. Ils parlent, ils vont, ils sourient, ils vivent comme les autres ; mais au dedans ils vivent de la vie éternelle, de cette vie indescriptible qui devant leurs yeux fait tomber tous les voiles. Pour eux tout dans la nature est clair ; ils regardent une plante et la plante ne peut leur cacher aucune de ses vertus ; ils regardent un autre homme et cet homme ne peut rien leur cacher, même ce qu’il se cache à lui-même ; ils regardent dans le passé un livre et celui qui a écrit ce livre est obligé de paraître devant eux ; ils désirent une chose et cette chose est par le seul fait qu’ils la désirent ; cette chose aux yeux des spectateurs peut paraître une injustice ou une erreur, elle devient vraie et bonne par le seul fait que ces êtres l’ont voulue ; ils connaissent tout, depuis l’atome jusqu’à l’étoile, ils savent tout, ils peuvent tout : ils sont libres.


A nous le Père demande d’obéir. Il préfère que nous ne comprenions pas le motif de notre obéissance, autrement nous aurions moins d’amour. Et ce que le Père aime le plus en nous, c’est l’Amour. Et lorsque nous avons fait pendant un peu de temps ce que Dieu veut, alors Lui fait ce que nous voulons pendant l’éternité.


Tel est le centre de la vie spirituelle, c’est le souhait suprême du Christ : que l’Amour du Père pour le Fils soit dans les disciples du Fils. Or, cette présence divine, les disciples la réalisent dans le fond de leur coeur et parfois même elle leur est accordée matériellement.


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Ces choses-là peuvent paraître incroyables. Leur réalité est cependant plus proche de nous que les réalités, si parfaitement tangibles, de la vie. Rien n’est plus proche de nous que les choses intérieures. Les choses extérieures sont toujours loin. L’homme le plus fort, c’est celui dont la vie intérieure est la plus profonde, la plus dépouillée, la plus nue. Si nous tous, si tous les Français nous pouvions réaliser cette abnégation totale de notre moi en vue du but qu’il s’agit d’atteindre, non seulement nous aurions cette victoire matérielle25 qui apparaît à certains comme le seul but à atteindre, mais nous aurions la triple victoire sociale, intellectuelle et surtout spirituelle.


Rien n’est viable que le spirituel. Ceci peut sembler une chimère et pourtant c’est toujours au tréfonds indescriptible des choses que brille leur force la plus vive et la plus invincible. Si donc vous essayez de réaliser ces conceptions -- et nous le pouvons par le simple effet de la direction de nos émotions, car notre coeur est plus près de nos mains que notre cerveau -- nous ferons beaucoup et surtout nous ferons beaucoup en qualité pour le bien général.


Si nous nous retrouvons cet automne, je fais pour vous le voeu -- et je sais que les vôtres m’accompagnent -- que nous ayons tenté quelque réalisation dans ce domaine magnifique et nous constaterons alors que la joie de cette triple victoire brillera dans nos yeux.



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(1) Voir les Bulletins 3, 4, 5.

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